Quel impact sur sa légitimité et ce qu’il va engendrer sur la scène politique et notamment sur le processus de la transition démocratique que la Tunisie veut boucler pour barrer la route aux pratiques autoritaires? Plusieurs sont les questions et les questionnements que les Tunisiens, experts de divers horizons, politiques et citoyens lambda, se posent actuellement.
La majorité des analyses traitant la question du référendum du 25 juillet décidé par le Président de la République convergent vers une panoplie de manquements et défauts qui ont, dans notre cas tunisien, affecté ce gage de démocratie et qui le détournent de ses objectifs. Un processus qui nous rappelle un autre, en l’occurrence le référendum organisé par la machine de l’ancien parti au pouvoir a l’ère Ben Ali, le RCD. Un référendum (le fameux oui ou non) qui pourtant était sans complexité aucune au niveau de sa préparation, notamment avec une question principale et un objectif clair. Cependant, il avait fait défaut par rapport à son organisation avec les pratiques de canalisation de l’opinion publique et des citoyens vers une acceptation tous azimuts d’un exercice très délicat sur les pratiques démocratiques, à savoir l’amendement de la Constitution et pas n’importe quel amendement ! Pour le cas Ben Ali, c’était une ouverture pour qu’il soit reconduit avec une perspective d’énième mandat pour lui. Ben Ali, qui avait évincé Bourguiba, lui-même piégé par ce jeu de pouvoir qui l’avait amené à ouvrir la porte à une présidence à vie.
Alors pour revenir à notre cas actuel, plusieurs ou même la majorité des personnalités influentes dans l’espace publique, dont des juristes et des spécialistes du droit constitutionnel, ainsi que des militants des droits de l’Homme, ont été surpris. Surpris de la manière dont a été décidée l’organisation du Référendum alors qu’aucune consultation n’a été lancée pour décortiquer la chose et en définir la méthodologie, les objectifs, la sensibilisation du public et les garanties à même de rendre ce référendum acceptable et légitime lors de sa délibération d’une quelconque décision. Et cela est clair, ce référendum va déboucher sur un changement du système politique du pays mais de quelle manière et vers quel régime? Une nouvelle Constitution. Va-t-on décider de rassembler les trois pouvoirs entre les mains d’un Président et nous dire qu’il y a des watch-dogs (ou pas) et remettre l’heure à celle de l’autoritarisme au nom d’un redressement de cette crise économique et financière profonde, outre celle politique qui l’aggrave à des niveaux insoutenables? Quelle nouvelle Constitution va nous écrire l’équipe de Saïed et comment sera-t-elle reçue par le peuple et par les différentes élites intellectuelle et politiques?
Légitimité et inclusivité !
Pour ne pas tomber dans une logique, celle qui prévaut depuis belle lurette, du pour ou contre les décisions du Président de la République, l’on va parler de la légitimité de ce référendum qui se veut un référendum de changement politique pour une meilleure démocratisation de la vie politique en Tunisie, ou du moins c’est ce qui a été annoncé ici et là en attendant la campagne de sensibilisation qui va expliquer au grand public la portée, les questions, les objectifs et ce qui va en découler…
Le Centre des études méditerranéennes et internationales (CEMI) mené par son président, Dr Ahmed Driss, et le réseau Mourakiboun, spécialiste notamment de l’observation des élections avec sa présidente Raja Jabri, viennent d’organiser à Tunis un atelier-débat autour des conditions de légitimation démocratique du référendum du 25 juillet avec la participation d’un important nombre de représentants de la société civile, de juristes et d’experts dans l’organisation des élections. Selon Ahmed Driss, qui évoque d’emblée le flou qui règne autour de l’organisation dudit référendum, le risque que peut affronter tout référendum est sa légitimité. Et d’ajouter : « Une légitimité qui est liée principalement à un taux de participation acceptable et à un taux de réponses favorables parmi les participants au référendum qui est lui aussi respectable. Généralement, il n’y a pas de seuil de participation mais il y a un seuil pour les réponses qui devraient former une majorité acceptée pour pouvoir influencer. Souvent, les référendum traitent des questions qui divisent la société et pour avoir une acceptabilité, il faudrait garantir une légitimité liée à la participation et à la majorité requise.
Aujourd’hui, dans les textes que nous avons, il n’y a aucun seuil pour la participation et il n’y a aucun seuil des réponses favorables, et cela pose un problème réel de légitimité ». Et Driss d’analyser : « D’autre part, un référendum est toujours lié à une question claire et précise sur un contenu clair et précis. Sur un texte, par exemple, qui est expliqué à ceux qui vont donner leur voix et d’une manière préalable qui doit respecter un certain délai avant de passer au référendum. Aujourd’hui, nous n’avons encore ni texte, ni réglementation spéciale pour ce référendum, ni refonte des dispositions existantes.
Cela dit, nous avons des dispositions dans le code électoral qui sont liées au référendum tel qu’il est dessiné dans la Constitution de 2014, ce qui ne colle pas avec l’actuel référendum car il sera organisé mais pas selon le cas prévu par cette Constitution.
D’où, on devrait avoir un texte qui explique et organise le référendum qui va avoir lieu de manière très particulière et exceptionnelle le 25 juillet. Cela dit, il faut amender le code électoral ou en avoir de nouvelles dispositions. De deux, puisque c’est le cas d’amendements sur le code électoral, cela ne peut se faire à la hâte et à trois mois de l’échéance, mais aussi le contenu de ce qui fera l’objet du référendum n’est pas encore clair. Cela devrait être fait par un comité ou une commission. Cette dernière n’est déjà pas mise en place et on n’a pas idée comment tout cela va fonctionner ce qui pose énormément de doute par rapport au contenu des textes qui seront proposés en dernière minute. Ce laps de temps ne permet pas une bonne assimilation des textes, notamment de la part des gens qui vont voter par un oui ou un non, exception faite des spécialistes à qui cela ne posera pas de problème. Une assimilation qui au cas où elle serait mauvaise posera, encore une fois, un problème de légitimité par rapport aux résultats de quelque chose dont on ne comprend pas la portée ».
L’on note ici un problème d’adhésion à deux niveaux. Le premier est réglementaire puisqu’il n’y a pas de texte sur lequel on se base pour organiser et réussir le référendum, qui devrait lui aussi faire objet de consultations préalables. Le deuxième niveau est celui de la compréhension du citoyen et l’inclusion des tendances politiques existantes. D’ailleurs, certains partis du paysage politique refusent catégoriquement ce processus de référendum et seraient exclus de l’opération.
Ceci pose un autre problème de légitimité relatif au pluralisme car on ne pourra effectuer une telle opération politique sans accepter l’inclusivité et le pluralisme. Il y a une tendance à exclure certains partis politiques et même s’il ne soit pas exclus, c’est eux qui vont boycotter certainement le référendum dans lequel ils voient une manière de manipuler le processus politique en Tunisie. Les rebondissements on n’en finira pas avec, alors que la situation financière et économique du pays n’est pas de bon augure que ce soit pour boucler le budget ou pour relancer l’économie ou certaines activités stratégiques du moins…